
Cet extrait de la Lettre da Saint Exupéry à Luro Cambacérès, souligne combien Antoine de Saint Exupéry était heureux en Argentine et combien il a toujours eu le sens de l’amitié qu’il considérait comme la chose la plus précieuse de la vie.
Mon cher Luro
…..car voyez vous mon cher Luro mon départ d’Argentine et de l’aeroposta argentina m’a été bien plus dur et m’a bien plus peiné que vous ne sauriez l’imaginer.
Il n’y a point de périodes de ma vie que je préfère à celle que j’ai vécue parmi vous. Il n’y a point de camaraderie qui m’ait paru plus saine que la vôtre. Quand l’Aéropostale d’à côté était perdue d’intrigues particulières nous vivions dans la paix..
Je ne sais pas si j’ai été pour quelque chose dans cette absence de petits drames humains et de discussions inutiles,ou si elle n’était due qu’à votre santé morale et à votre jeunesse de coeur, mais je sais bien que j’y tenais de toutes mes forces et que jamais vous m’avez déçu.
Et puis il y a tous les souvenirs de travail en commun, les voyages dans le sud,la construction de la ligne, les vents de Comodoro , les fatigues, les inquiétudes et les joies que j’ai partagées avec vous.
Enfin voyez vous Luro, je m’étais à la longue, un peu senti comme chez moi dans votre Argentine.Je me sentais un peu votre frère et je pensais pouvoir vivre longtemps au milieu de votre jeunesse si généreuse.
Puis brusquement j’ai dû vous quitter et cela m’a beaucoup serré le coeur. Et je suis tombé, en rentrant dans une Aéropostale tourmentée , noyée dans les intrigues d’une politique confuse et injuste.J’ai bien senti que je ne retrouverai pas la paix que j’avais perdue.
…..j’ai essayé de ne plus trop me souvenir.Lorsque je recevais une lettre de vous,je revoyais avec tant de netteté vos grands espaces libres du sud que cela me faisait du mal…
Si un homme aime sans espoir une femme très belle il doit,pour vivre en paix, déchirer ses photographies..c’est un peu ce que je faisais.
….j’oublie peu à peu les mauvaises heures du départ et ne me souviens plus que de celles qui étaient belles …et je suis heureux de vous remercier enfin de tout ce que l’Argentine m’a donné.
Croyez cher Luro à une amitié qui était et reste si profonde. Croyez que je serais heureux d’avoir parfois de vos nouvelles et que je répondrai toujours.
Antoine de Saint Exupéry 5 rue des Chanaleilles Paris
Pour en savoir plus voir le livre de Bernard Bacquié : Un pilote australe Saint Exupéry