
J’ai rencontré Alberto Piattelli le 18 Février 2016 pour faire avec lui le voyage de la Consulta de la province de Mendoza à la Laguna Diamante où Guillaumet a été contraint,par une tempête de neige,d’atterrir le 13 juin 1930.
Cet Historien qui vit à San Carlos est un passionné de cet évènement et de l’exploit de Guillaumet dans les Andes ainsi que des jours qui ont suivi et qui ont marqué les Argentins et notamment ses retrouvailles avec Saint Exupéry.
Il y a encore en Argentine une mémoire vivante de ces hommes qui reliaient les continents et les hommes.
Alberto Piattelli a fait un travail remarquable de recherche et de rencontres sur le terrain.
Il a notamment rencontré Juan Gualberto Garcia, l’enfant qui trouva Guillaumet le 19 juin 1930 presque mort de froid. Il avait quatorze ans à l’époque des faits.Il est aujourd’hui décédé.
Il a aussi interviewé Juan Gualberto Gomez qui fut le témoin des retrouvailles entre Guillaumet et Saint Exupéry alors qu’il cultivait son champ de maïs
Son récit est passionnant et très documenté notamment sur les évènements qui suivirent le sauvetage de Guillaumet par la famille de Juan Gualberto Garcia le jeudi 19 septembre 1930.
Je ferai une observation concernant le jour où Guillaumet a abandonné son avion et a commencé à marcher.
Au regard, en effet,du récit du Guillaumet lui même sur son aventure et publié dans la revue Icare N°108 et N°162, Guillaumet avait attendu la fin de la tempête de neige le Dimanche matin 15 juin vers 10 heures et non le samedi 14 juin comme le mentionne Alberto dans son récit.
C’est donc jusqu’au jeudi 19 juin où Guillaumet rencontra Juan Gualberto Garcia, 5 jours et 4 nuits de marche et de souffrances physiques et morales dans la cordillère des Andes.
Avant de vous présenter cet excellent récit qu’ Alberto Piattelli m’a remis, j’indiquerai pour mémoire que Guillaumet est né à Bouy dans la Marne le 20 mai 1902.Il avait donc tout juste 28 ans au moment de son exploit.
UNE HISTOIRE DE COURAGE,DE SOLIDARITE ET D’AMOUR PAR ALBERTO PIATTELLI
MIRACLE DE SURVIE DANS LA CORDILLERE DES ANDES
HENRI GUILLAUMET – 1930
Le département de San Carlos (Province de Mendoza – Argentine) est riche d’anecdotes et de faits qui, de par leurs caractéristiques, en sont venus à faire partie de la mémoire collective de ses habitants et ont ensuite intégré la culture locale.
Un de ces évènements est arrivé au début de ce siècle en un lieu qui, tout en présentant l’été une beauté privilégiée, développe en hiver un climat rigoureux et est quasiment inaccessible : la lagune du Diamant.
LE COURRIER ARGENTINO-CHILIEN
En 1930 l’entreprise française Aéropostale (qui deviendra Air France) était chargée d’emporter et de rapporter le courrier aérien entre l’Argentine et le Chili.
Effectuer la traversée du massif andin dans des machines fragiles impliquait que ses valeureux pilotes soient, plus que des travailleurs de l’air, des aventuriers à risque. Parmi eux, il y avait le chef de transit de la compagnie, Antoine de Saint-Exupéry, et son ami Henri Guillaumet. Tous deux possédaient une grande expérience acquise grâce à plus de 120 traversées de la cordillère.
CHUTE D’UN AVION POSTAL AUX ABORDS DE LA LAGUNE DU DIAMANT
Ce dernier, précisément, effectue, depuis la ville de Mendoza, un vol de routine et arrive à Santiago du Chili sans inconvénient. Il entame le retour le vendredi 13 juin 1930, après le déjeuner, et peu de temps après son départ, affronte une tempête terrible.
Se voyant dans l’impossibilité de traverser par la route normale (Uspallata) il se dirige vers le sud pour tenter de traverser par le col voisin du volcan Maipo (5323 mètres). Il vole à une altitude de 6500 mètres, mais un courant descendant le ramène à 3800 mètres. Le petit avion perd de la puissance et Guillaumet décide d’atterrir à la Lagune du Diamant (3250 m), à environ 15 heures. Il choisit une zone plutôt plane qui se trouve à l’est du miroir d’eau, partiellement gelé en cette saison. La tempête a déjà déposé 70 cm de neige et l’avion (un Potez 25 à aile double) capote en tentant de toucher terre. Son pilote s’en sort miraculeusement indemne.
L’ODYSSEE
Guillaumet évalue la situation et, constatant la tombée très prochaine de la nuit, il décide de rester sur place. Il passe le reste du jour et cette nuit glaciale en s’abritant sous la machine, et pour ne rien arranger l’intensité de la tempête ne diminue pas.
Le samedi, il décide d’entreprendre la marche et écrit en Français sur une aile de l’avion : « je pars vers l’est ». Un avion, parmi les nombreux qui entamèrent la recherche, passe au-dessus de lui. Il lance trois « fusées de détresse » (feux de Bengale), mais ne parvient pas à se faire apercevoir.
Cet accident a mobilisé « la fine fleur » de l’aviation argentine pour accompagner Saint-Exupéry dans la recherche et le sauvetage.
Henri Guillaumet commence la traversée par le sentier qui aujourd’hui correspond au bout du chemin conduisant à la lagune du Diamant. Il marche toute la journée et toute la nuit, malgré la neige, les sinuosités du terrain et les multiples difficultés rencontrées.
Le dimanche, il poursuit la pénible marche et décide, à la nuit tombante, de passer la nuit dans un refuge précaire entre des rochers.
Le lundi, il continue sa terrible traversée et en raison de la fatigue, de la faim, du froid ou de la neige qui couvre la montagne, il se trompe de chemin, glisse et tombe dans un ravin. Il sauve sa vie en s’accrochant à des arbustes qui dépassent de la neige. Mais il perd une petite mallette avec ses maigres provisions, une trousse de secours et des objets de survie. Au fond de ce précipice se trouvent les sources du ruisseau Yaucha, appelées les Vegas de Yaucha. Devant l’impossibilité de retourner sur le chemin d’où il venait il décide de continuer en suivant le cours de ce ruisseau naissant de la cordillère. Cette nuit-là, il se repose à nouveau entre des rochers. Il faut souligner que l’hiver dans cette région est extrêmement rigoureux et qu’il a certainement dû supporter des températures inférieures à 10 degrés en-dessous de zéro, avec la difficulté supplémentaire que la nuit est très longue et le jour court.
Le mardi, il marche dans la neige, s’enfonce dans des flaques gelées, croise cent fois le filet d’eau, mange ce qu’il trouve, parfois une plante aquatique, si tant est qu’il mange. Il se blesse les jambes et les mains. Avec un manteau insuffisant, sans abri ni nourriture, une extraordinaire force de volonté de survivre naît en lui.
Il avance lentement, saute de pierre en pierre, se traîne entre des roches tranchantes, grimpe à l’aide de ses seules mains ensanglantées et de ses jambes épuisées. Il perd la notion du temps. Il se repose comme il le peut cette nuit-là.
Le mercredi, avec des forces diminuées et son organisme affaibli, il continue sa pénible marche. A nouveau, la nuit le rattrape et il se repose en essayant de ne pas s’endormir de crainte de geler.
Le jeudi, l’esprit déjà abruti, il continue à errer à travers la cordillère hostile, et grâce à une prodigieuse volonté de survie, il parvient à résister. Durant les cinq dernières heures, il n’est accompagné que par un vautour, oiseau de proie qui attend que l’homme tombe, vaincu par la fatigue.
Un militaire chilien qui s’était joint aux recherches dans ce pays avait dit clairement à Saint-Exupéry : « la cordillère des Andes ne rend pas les hommes en hiver…quand la nuit passe au-dessus d’eux, elle les transforme en glace. »
L’auteur du magnifique livre « Le Petit Prince » dit : « quand je me suis à nouveau glissé entre les murs et les gigantesques piliers des Andes, il me semblait que, déjà, je ne te cherchais plus mais que je veillais ton corps en silence, dans une cathédrale de neige ».
Henri Guillaumet, qui connaissait des principes de survie, savait qu’en suivant un cours d’eau il devrait parvenir à un lieu habité.
LA RENCONTRE
Sept jours et sept nuits s’étaient écoulés lorsque le jeudi 19, aux premières heures de l’après-midi, sans souffle, défaillant, totalement épuisé, il n’en peut plus…mais le miracle se produit. « Une femme qui gardait ses chèvres aux abords du Poste Cerro Negro le trouve. Madame Manuela Romero de Garcia l’emmène jusqu’à son humble logement, le nourrit et l’abrite. Pour la première fois, il se repose vraiment après cette odyssée infernale », nous dit un vieux témoin de l’odyssée, Monsieur Talo Guiñazú.
En réalité, celui qui l’a trouvé est un jeune de quatorze ans : Juan Gualberto Garcia, fils de Manuela Romero et de Luis de Jesus Garcia qui raconte : « pendant que j’étais à la recherche de mon père qui était parti chasser des lamas, j’ai réalisé qu’on voyait quelqu’un marcher dans la descente del Novillo. Quand je me suis approché j’ai vu que, venant de la pré-cordillère le long de la berge du ruisseau Yaucha, avançait quelqu’un de bizarrement vêtu. Il portait une combinaison, un casque de cuir et une écharpe blanche qu’il agitait en l’air. Il parlait et criait des choses que je ne comprenais pas et agitait les bras pour se faire comprendre. J’ai eu peur et suis retourné vers les maisons ».
A son arrivée il raconta à sa mère qu’il avait rencontré un « fou ». Doña Manuela partit immédiatement le chercher avec le cheval de son fils et ce dernier sur les hanches. Ils le trouvent exténué et « mort de froid et de faim ». Le personnage bizarre fait comprendre qu’il est aviateur. La femme le conduit dans sa maison, « lui sert du lait de chèvre et un petit verre d’alcool de canne ; l’homme s’est appuyé sur la table et s’est endormi ».
Don Luis de Jesus Garcia, de retour de la chasse et la nuit tombant déjà, va chercher le sous-commissaire de Campaña, José Castro à Arroyo Papagayos à environ 15 kilomètres. Lorsqu’il apprend la nouvelle, celui-ci se rend immédiatement à Chilecito pour informer par télégraphe les autorités provinciales de la ville de Mendoza. Luis Garcia, accompagné de l’officier Oscar Lemos, revient au poste où ils arrivent le matin du 20 juin.
Quelques heures plus tard arrive le sous-commissaire Castro en automobile (une Ford T modèle 1927) pour transporter le pilote jusqu’à la ville de San Carlos. Comme le chemin n’arrivait pas jusqu’au poste, le groupe composé de Guillaumet, Garcia et Lemos dut descendre plusieurs kilomètres à cheval avant de l’atteindre.
Le Feuillet 45 du Livre des évènements du Commandement Politique de San Carlos, daté du 20 juin 1930, indique :
(reproduction d’un feuillet manuscrit)
Présent 9h40 le sous-commissaire Quiroga ( ?) est de service
14h15 le sous-commissaire Castro de Papagallo prévenant qu’on a retrouvé Guillaumet l’aviateur perdu dans la Cordillère, près de la lagune du Diamant.
Télégramme 16h8 à l’attention du chef
on informe 16h10 le Dpt Central de la Police de Mendoza, qu’une dame s’appelant Manuela
Romero Garcia a retrouvé Guillaumet l’aviateur perdu dans la Cordillère, hier, 29 du mois courant, à quatorze heures environ, dans le « Cerro Negro » à une grande distance du point de chute de l’aviateur, aux alentours de la lagune du Diamant, après une marche de 7 jours.
De Mendoza 17h5 un avion à la recherche de l’aviateur perdu fait demi-tour.
SAUVETAGE DE L’AVION
Quand la nouvelle parvient à la ville de Mendoza, la population surprise explose dans une manifestation de joie.
Don Raimundo Martinez, un autre vieil habitant du secteur, se souvient : « depuis la Lagune, Guillaumet a pris le sentier de Paramillo, dont il perd la trace par erreur, puis est descendu vers la plaine du Yaucha et a suivi le ruisseau. Au bout de plusieurs jours, le fils et l’épouse de Luis Garcia l’ont retrouvé, l’ont disposé près du foyer et lui ont servi du lait et des galettes. Comme à cette époque il n’y avait pas de route, on dut démonter l’avion pour pouvoir le descendre ».
Don Juan G. Garcia souligne que Pastor Lima a tracé la première empreinte carrossable vers la Lagune, car à cette époque on ne se déplaçait qu’à cheval, et que le premier véhicule à y être passé fut « une remorque avec quatre roues en fer » tirée par deux paires de bœufs et précédée par une équipe d’ouvriers qui retiraient les grosses pierres. Ils enlevèrent les ailes et le moteur de l’avion. Lima retourna l’avion et attacha le fuselage par la queue à la remorque, pour l’apporter roulant sur ses roues.
LES RETROUVAILLES
Antoine de Saint Exupéry s’envole rapidement retrouver son ami intime.
Le célèbre écrivain écrit : « quarante minutes plus tard j’avais atterri le long d’un chemin en reconnaissant, je ne sais pas comment, le véhicule qui t’emmenait, j’ignore vers où… » Mais nous savons, nous, où il l’emmenait et quel fut l’endroit exact où atterrit l’auteur de « Vol de Nuit ». Un autre vieux voisin de San Carlos, Don Benjamin Buttini, se souvient que « cet évènement était tout un choc à San Carlos ». Les habitants de cette communauté s’étaient approchés de la route pour voir passer le véhicule qui transportait Guillaumet. L’un d’eux qui était à cheval avec un drapeau argentin, courut rapidement à l’endroit où l’avion était en train d’atterrir et galopa en cercle autour de lui. Il fut témoin physique de l’accolade des deux amis.
L’avion descendit jusqu’à un herbage de la propriété La Finca, qui appartient aujourd’hui au Señor Passadores, à gauche de l’actuel pont sur la rivière Yaucha traversé par la rue des Pierres (aujourd’hui avenue de l’armée des Andes), en direction de la Consulta.
Quand ils se retrouvèrent, Guillaumet tomba dans les bras de Saint Exupéry et lui dit en larmes : « ce que j’ai fait, je te le jure, aucune bête ne l’aurait fait ». Nous estimons que cela est vrai car, si les animaux survivent par instinct dans des conditions d’extrême difficulté, ici il fallut davantage que cela: il fut nécessaire d’avoir la foi, de la valeur, de l’intelligence et une extraordinaire envie de vivre.
Finalement, à 18h20 le vendredi 20 juin, le courageux pilote arriva à l’aéroport Los Tamarindos où il fut reçu par les autorités, des journalistes et un grand nombre de gens enthousiastes qui, à travers des démonstrations de joie, lui exprimèrent leur profonde affection.
DANS LA MEMOIRE
Cette épopée se trouve retranscrite dans le livre « Terre des Hommes » d’Antoine de Saint-Exupéry et fut relatée dans les chroniques des journaux locaux, nationaux et internationaux durant plusieurs jours.
Elle fut aussi portée au cinéma par le metteur en scène Jean-Jacques Arnaud (sic). Le cinéaste a recréé l’exploit d’H.Guillaumet dans un paysage semblable à la Lagune du Diamant mais au Canada, et a intitulé le film « Wings of Courage » (« Les Ailes du Courage »).
Cet évènement reste non seulement gravé dans la mémoire de notre province, mais il a eu aussi une répercussion dans la ville natale d’Henri Guillaumet : TOULOUSE. Un groupe de citoyens de la lointaine France originaires de cette ville, dirigés par M.Jacky Charton, ont rendu un hommage à cet as de l’aviation. Pour lui, ils ont effectué un périple de 5000 kilomètres parcourant l’itinéraire le long duquel intervenait la « COMPAGNIE GENERALE AEROPOSTALE » et en particulier la zone où eut lieu l’exploit d’H.Guillaumet.
En souvenir de cet évènement, ces hommes, avec le Consulat de France à Mendoza et la Municipalité de San Carlos, ont érigé le 02/10/96 un monument sur la commune de Pareditas à l’intersection des Routes Nationales N°40 et 143.
Cette aventure a démontré la valeur, l’effort et la volonté de vivre d’un pilote français au caractère exceptionnel, et également l’esprit de solidarité et l’amour du prochain, bien qu’il ait été un parfait inconnu, de la part d’un enfant et ses parents, très modestes bergers argentins de la Cordillère des Andes. Un évènement qui permet de créer des liens entre deux pays frères et qui doit servir d’exemple pour les générations à venir.
C’est dans cet esprit qu’un groupe d’admirateurs de cet exploit travaille actuellement à la création d’un Musée en l’honneur d’Henry Guillaumet sur la commune de Pareditas, département de San Carlos, pour que cette histoire demeure vivante pour toujours.
En résumé, un évènement intervenu à l’époque glorieuse de l’aviation, dans des années où apparurent et se firent remarquer des pilotes courageux de tous horizons, a bouleversé la vie quotidienne calme et sans évènement majeur d’un département du centre de la Province de Mendoza en 1930. Cet épisode, dont les vieux sancarliniens se souviennent avec nostalgie et admiration, fait désormais partie de son patrimoine historique et culturel.
Alberto Piattelli
San Carlos